Portrait

Léon Augé, de « père » de la résistance anticoloniale au Gabon à architecte du régime Bongo

Léon Augé, de « père » de la résistance anticoloniale au Gabon à architecte du régime Bongo
Léon Augé, de « père » de la résistance anticoloniale au Gabon à architecte du régime Bongo © 2020 D.R./Info241

Nombreux sont les Gabonais cultivés de l’époque coloniale qui combattaient le régime du feu président Léon Mba, considéré comme corrompu et à la solde de la France. Dès l’arrivée d’Albert Bernard Bongo au pouvoir, plusieurs d’entre eux vont retourner leur veste et rejoindre les rangs de la majorité pour être les figures de proue de la politique très contestée d’Albert Bernard Bongo. Ils sont considérés comme les traîtres de la résistance. C’est le cas de Léon Augé (1929-2002), né Léon Sajoux.

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C’est le vendredi 1er novembre 1929 que Léon Sajoux, plus connu sous le nom de Léon Augé, naît dans la ville de Libreville, capitale du Gabon. Son arrière-grand-père était Jean-Pierre Sajoux et son arrière-grand-mère portait le nom d’Okili, une femme Mpongwè du clan Azouwa. Son père fût Pierre Sajoux. Sa mère était une gabonaise d’ethnie Benga du Cap Estérias s’appelant Cécile Okoï.

L’illustre Léon Augé

Ce n’est qu’à l’âge de 17 ans que Léon Sajoux prend le nom de Léon Augé. Il était marié légalement à Adèle Tchaki Luron, sage-femme d’Etat diplômée de l’Ecole de médecine de Reims, avec laquelle il aura plusieurs enfants. Il avait aussi une liaison avec Odette Owanga Coniquet avec qui il a eu une fille, Chantal Basseux, en 1954 avant l’officialisation de son mariage. C’est son premier enfant.

 Inventaire de ses études

Petit, Léon Augé était déjà taxé de brillant et d’être détenteur d’un remarquable éveil de l’esprit. C’est à Libreville qu’il débute ses études d’abord dans les classes du primaire. Ensuite, il poursuivra ses études secondaires toujours dans la capitale gabonaise puis à Brazzaville. Mais en 1945, à la fin de la Seconde Grande Guerre, la France décide de faire concourir tous les élèves issus de ses territoires africains ainsi que Madagascar, pour rejoindre les lycées et collèges de l’Hexagone. Admis à ce concours, il fréquentera tour à tour, le lycée Turgot et Vanves et le lycée Michelet où il obtiendra son baccalauréat en série moderne et mathématiques.

Titulaire d’une licence en droit à l’université de Paris et diplômé de l’Ecole pratique des hautes études, Léon Augé a aussi suivi une formation à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle. Il est à noter qu’il est le premier gabonais à obtenir une licence en droit. Il peaufine son cursus en aiguisant sa rhétorique à l’Ecole de l’art dramatique du Vieux-Colombier pour parfaire sa pratique linguistique dans son expression en public. Il continue dans cette même lancée en s’inscrivant au cours d’art dramatique René-Simon communément appelé Cours Simon à Paris.

 Sur les rives de la résistance et de l’opposition

Soucieux du bien-être et du mieux-vivre des étudiants gabonais en France, Léon Augé fonde en 1949 la célébrissime Association des étudiants gabonais (AEG). L’idée étant aussi d’influencer la vie politique de son pays pour lutter contre toute ingérence française dans le cercle décisionnel gabonais. C’est ainsi que l’AGEG se mue en Association générale des étudiants gabonais (AGEG).

Dans sa vision panafricaniste, Augé décide aussi de défendre les intérêts des autres étudiants africains car ils ont un dessein commun pour leur différent pays et ils vivent pour la plupart, les mêmes tristes réalités. Avec d’autres leaders estudiantins d’horizons différents à l’instar de Paul Kaya, Solange Faladé ou encore de Alpha Condé, Léon Augé participe à la mise en place de la très crainte Fédération des étudiants d’Afrique noire de France (FEANF) en 1950. Bien qu’elle comptât se pencher uniquement sur les aspects sociaux et culturels, l’idée directrice de cette organisation a vite été d’impacter profondément les orientations politiques des différents chefs d’Etat africains pour qu’elles puissent cadrer avec les aspirations réelles des leurs populations.

Son combat politique via la résistance qu’il organise en France donnera naissance au Mouvement gabonais d’actions populaires (MGAP) qui s’opposera au référendum de 1958 voulu par le général De Gaulle prévoyant que chaque territoire français d’Afrique sera dorénavant géré par un Premier ministre. Ce collectif d’étudiants gabonais à connotation anticolonialiste combattra farouchement la politique de Léon Mba après que celui-ci n’accède au poste de Premier ministre. Plus encore, lorsque le Gabon accède à la souveraineté internationale, Léon Mba devient président de la République et il bénéficie d’un pouvoir de décision quasi-illimitée, le régime politique étant passé de parlementaire à présidentiel.

 Comme un soupçon de traîtrise

Bien qu’il fût aux antipodes de l’occupation française au Gabon et de la politique servile de certains leaders du pays à l’égard de la France, Léon Augé finira par courber l’échine face au système qu’il avait toujours combattu. En effet, le président Léon Mba meurt en 1967 et c’est son jeune directeur de cabinet, Albert Bernard Bongo, devenu vice-président par une entourloupe et un sabotage politique entretenu par la France, qui accède au fauteuil de président.

Celui-ci prêche pour une unification des gabonais, tous bords politiques confondus ; accordant l’amnistie même aux plus virulents d’entre les résistants gabonais, fervents du nationalisme. Léon Auge se résout à travailler avec le jeune président pour qui il œuvrera fidèlement sans jamais manquer à ses obligations.

Mais l’arnaque politique de Léon Augé ne daterait pas d’hier selon plusieurs allégations. Des rumeurs laissent entendre qu’en 1952, Léon Augé aurait offert ses services au Bloc démocratique gabonais (BDG) de Paul Gondjout et de Léon Mba pour la rédaction des statuts et règlements de cette formation politique qui était pourtant un adversaire direct pour Augé à la vue des positions nationalistes franches et radicales qu’il défendait du moins publiquement.

A Paris, il aurait été approché à plusieurs reprises par des politiciens gabonais travaillant dans les instances françaises tels que l’Union française et les deux chambres du parlement. D’autres gabonais de la résistance critiqueront même vivement son retour au pays sans l’ombre d’une menace ou d’une interdiction de séjour. Il est bien vrai que la véhémence des propos d’Augé n’avait rien pour plaire aux dirigeants gabonais de l’époque en tête desquels Léon Mba, qui était maire de Libreville en ces temps.

De plus, Léon Augé rentre au Gabon en 1958 et est intégré au sein du ministère du Travail nouvellement mis sur pied. En 1960, il est nommé directeur des Affaires sociales. Ses frères d’armes comprennent qu’il n’est plus un des leurs et qu’il a rejoint ses adversaires d’antan.

Mais le fait le plus marquant de son retournement de veste est sans l’ombre d’un doute, le procès des auteurs du coup d’Etat de 1964 dont il était le juge. Nous sommes au mois d’août 1964 dans le chef-lieu de la province du Moyen-Ogooué, Lambaréné, et là commence le jugement des insurgés et des membres du gouvernement provisoire nommé par Jean-Hilaire Aubame lors du putsch de la même année visant à renverser le pouvoir de Léon Mba qui était un infatigable fervent serviteur des intérêts français.

Léon Augé est en face de certains de ses « élèves » et de ses ex frères d’armes du MGAP et de l’AGEG à qui il avait appris les contours de la résistance et le sens de la patrie. Ceci est perçue par les protagonistes présents et par la classe politique vivant en exil comme un affront envers la résistance et une trahison impardonnable.

 Carrières politique et professionnelle

Bien avant la disparition du feu président Léon Mba, Léon Augé a d’abord travaillé au sein du tout nouveau ministère du Travail comme indiqué plus haut ; il occupait le poste de chargé des Affaires culturelles au ministère du Travail et des Affaires sociales entre 1958 et 1959. En 1960, il devient le patron du directoire des affaires sociales jusqu’en 1961. De 1961 à 1963, il est nommé substitut du procureur de la République près le tribunal de première instance de Libreville et de 1963 à 1968, conseiller à la Cour suprême du Gabon. De 1968 à 1972, il est le président de la chambre administrative de la Cour suprême du Gabon.

Mais Léon Augé fut pendant près de 20 ans, la courroie de transmission de la formation politique d’Albert Bongo, le Parti démocratique gabonais (PDG). Il l’a façonné au fil des ans, l’hiérarchisant et l’organisant pour en faire une fierté personnelle et pour contenter son principal employeur, le président Bongo. Des organes comme l’Union des jeunes du parti démocratique gabonais (UJPDG) ou l’Union des femmes du parti démocratique gabonais (UFPDG) ont été pensés et conceptualisés par cet « architecte » de premier rang du parti qui a su charmer Bongo par son travail, sa discipline et sa docilité. Il a légué son idéologie au PDG et a su insuffler une dynamique nouvelle au sein du parti avec la mise en place de procédés politiques et stratégiques. Le tout dans une discrétion intrigante.

C’est ainsi que Léon Augé commencera sa véritable entrée politique d’une manière fracassante, en guise de remerciement pour les efforts fournis pour redorer l’image du parti et du distingué camarade-président : il sera nommé conseiller spécial du président de la République gabonaise de 1971 à 1976. Il sera entre autres, haut-commissaire à la Présidence entre 1972 et 1975. En 1976, il devient secrétaire d’Etat. De 1983 à 1986, il a le portefeuille ministériel de l’Orientation nationale. Il devient délégué permanent du PDG de 1983 à 1986. Léon Augé cumule les fonctions de Haut-conseiller du président de la République pour les questions politiques et président de l’Institut africain d’études stratégiques durant la seule année 1990.

Léon Augé a été administrateur de la Société hôtelière de l’Afrique équatoriale en 1959, de l’institut d’émission de l’Afrique centrale. Il a aussi présidé le conseil d’administration de la Société nationale de presse (SONAPRESSE) de 1975 à 1986 et a aussi occupé la fonction de président de l’imprimerie MultiPress-Gabon. En 1981, il crée le journal d’annonces légales « Hebdo informations » pour lequel il assurait la présidence du conseil d’administration jusqu’à sa disparition.

Il a élaboré plusieurs travaux de recherche et publications dont la plupart traite de règles juridiques de portée générale, des familles africaines, des migrations africaines, de l’économie solidaire ou encore du développement et de la protection des villages africains. Augé a été un chercheur émérite connu et reconnu de tous, ce qui lui a valu une considération et une reconnaissance internationale notamment en France et dans toute l’Afrique.

Léon Augé a présidé le comité de rédaction de la première partie du Code civil gabonais. De 1962 à 1963, il a été le chargé de cours de la Fondation de l’enseignement supérieur de l’Afrique centrale. De 1970 à 1971, il est à la tête du Centre universitaire des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université nationale du Gabon avant de devenir entre 1975 et 1986, président de l’Institut africain d’études stratégiques. Depuis 1987, il était membre sociétaire de l’association des écrivains de langue française et ce jusqu’à sa mort. Le 15 décembre 1989, Léon Augé avait été élu membre correspondant de la 2e section de l’académie des sciences d’outre-mer. Titre qu’il occupera jusqu’à la fin de sa vie.

 Disparition et distinctions

S’étant discrètement retiré de la vie politique depuis 1996 à la suite des bouleversements survenus lors des élections législative et présidentielle donnant vie au multipartisme adopté à la Conférence nationale de 1990, Léon Augé s’éteint le jeudi 21 novembre 2002 à Libreville. Il était alors âgé de 73 ans.

Officier de l’ordre du mérite, Léon Augé a été fait chevalier de l’étoile équatoriale et commandeur dans l’ordre national du Sénégal. Il est aussi commandeur de la légion d’honneur, commandeur dans l’ordre des Palmes académiques ainsi que Grand Cordon du Ouissam Alaouite.

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