Portrait

Jean-Marc Ekoh, d’instituteur à poigne à homme politique intransigeant

Jean-Marc Ekoh, d’instituteur à poigne à homme politique intransigeant
Jean-Marc Ekoh, d’instituteur à poigne à homme politique intransigeant © 2022 D.R./Info241

Bien avant la fin de la Seconde Grande Guerre, l’instruction occidentale des populations locales africaines était pour le moins limitée à un certain niveau d’études. Avec la mise en place de l’Union française, les colonies africaines devinrent des territoires français d’Outre-Mer. En AEF, un petit pays de cette administration coloniale, le Gabon, vit le nombre de ses instruits locaux progresser de manière significative car avec le statut que lui conférait l’Union française.

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Il était désormais possible de permettre aux apprenants qui le désiraient de poursuivre leurs études en Europe. Mais, d’autres instruits ne voulurent point poursuivre leurs études à l’étranger et firent le choix de transmettre le savoir primaire aux jeunes écoliers gabonais. Passionné par la pédagogie et fier amoureux de l’éducation, Jean-Marc Ekoh (1929-2022) fut aussi un homme politique dont l’intégrité et la gouaille firent de lui, l’un des rares hommes politiques les mieux en phase avec leurs principes et leurs valeurs.

 Naissance

C’est en Afrique équatoriale française (AEF) que naît Jean-Marc Ekoh en 1929 dans la colonie française africaine du nom de Gabon précisément à N’koaloa (Nkok Oloa), l’un des villages jouxtant la circonscription territoriale de Bitam situé dans l’actuelle province du Woleu-Ntem.

 Instruction

C’est au sein de l’école primaire protestante Ayananga’a que le jeune Jean-Marc débute son instruction. Il a huit ans lorsqu’il y est envoyé. Deux ans plus tard soit en 1939, Jean-Marc regagne Oyem pour y poursuivre son cursus primaire à l’école protestante de Mfoul. Jean-Marc finit par décrocher son Certificat d’études indigènes (CEPI), une véritable prouesse à l’époque. Mais le jeune Ekoh a des envies d’enseigner, un désir certainement nourri par son instruction protestante.

L’illustre disparu plus jeune

Jean-Marc Ekoh décide alors d’entamer une formation d’instituteur. Jean-Marc Ekoh se rend alors à Lambaréné et s’inscrit au Cours complémentaires. C’est finalement au courant du mois de juin de l’année 1945 que notre protagoniste sort de sa formation, nanti d’un diplôme de moniteur dont la mention lui confère une autorisation d’enseigner. Optimiste et heureux de pouvoir transmettre le savoir, Jean-Marc Ekoh se lance la même année dans l’enseignement.

 Carrière pédagogique et politique d’avant 1964

A partir de 1945 à la suite de l’obtention de son diplôme de moniteur lui permettant d’enseigner, Jean-Marc Ekoh fréquentera plusieurs établissements primaires dans lesquels il enseigna. Pendant près de douze ans, il se dévoua sans répit à sa fonction de pédagogue. Compétent et dynamique, Jean-Marc Ekoh devient même président du Conseil de la jeunesse du Gabon de 1949 à 1957.

Mais son éducation et sa vision éclairée de l’état de la situation du pays le pousse à rejoindre l’arène politique qui est durant ces années, dominée par deux formations et deux hommes aux idées bien distinctes : le Bloc démocratique gabonais (BDG) de Léon Mba Minko et l’Union démocratique et sociale gabonaise (UDSG) de Jean-Hilaire Aubame.

En 1957, Jean-Marc Ekoh décide de rejoindre l’UDSG et sa formation politique obtient 14 des 40 sièges à pourvoir lors des élections territoriales gabonaises du 31 mars 1957 et devient ainsi le leader des formations politiques locales. Jean-Marc Ekoh est lui élu député à l’assemblée territoriale gabonaise cette même année représentant la circonscription du Woleu-Ntem.

Au sein des premiers conseils de gouvernement présidé par Léon Mba, Jean-Marc Ekoh est plusieurs fois nommé ministre alors qu’il n’a seulement que 28 ans. Il lui est d’abord octroyé le ministère des Affaires sociales puis celui du Travail, de la Jeunesse et des Sports. Par ailleurs, il resta un moment écarté des affaires en raison de ses convictions politiques qui étaient aux antipodes de la gestion administrative des autorités de l’époque.

Dans le souci de pacifier la classe politique, un gouvernement d’union nationale fut instauré et Jean-Marc Ekoh hérita du portefeuille ministériel de l’Education nationale. C’est d’ailleurs au sein de ce ministère qu’il occupa du 21 février 1961 au 1er janvier 1963 que Jean-Marc Ekoh marqua profondément l’histoire de son pays : il mit en place l’un des premiers plans éducatifs gabonais avec pour idée directrice la construction de neufs lycées, soit un établissement par capitale provinciale.

En 1961 alors qu’il n’a que 31 ans, Jean-Marc Ekoh est envoyé à l’assemblée mondiale de la jeunesse en terre étasunienne. Lors de son séjour à ce sommet, il deviendra membre du Comité mondial de la jeunesse pour le compte du Gabon à la suite d’élections organisées pour la circonstance.

 Sursaut nationaliste et retour aux affaires

Lorsque que les militaires putschistes mettent en place le coup d’état de « salut public » le 17 février 1964, Jean-Hilaire Aubame est propulsé à la fonction président de la République gabonaise et Jean-Marc Ekoh accepte lui de faire partie du gouvernement provisoire et d’être nommé ministre des Affaires étrangères. Il faut dire que depuis le 1er janvier 1963, Jean-Marc Ekoh n’a plus été appelé au gouvernement suite à son franc-parler légendaire quant au management calamiteux de plusieurs membres du gouvernement et même du chef de l’Etat.

Quand Jean-Hilaire Aubame sollicita son implication, Jean-Marc Ekoh répondit par la positive car il fallait sans doute selon lui, délivrer la nation de ces « perfides trompeurs » qui ne songeaient en rien aux mieux-être du peuple et à son avenir. Mais le coup d’Etat fut de courte durée car l’intervention militaire française régie par la loi-cadre Deferre suite au référendum de 1958 donnant naissance à la Communauté française stoppa net l’élan nationaliste de Aubame, Ekoh & Co.

Après avoir été tous arrêtés, le procès des putschistes et affiliés se tint durant le mois d’août de la même année du coup d’état. Il fut présidé par Léon Augé, ex militant étudiant nationaliste devenu un allié du régime Mba. Le 9 septembre 1964, Jean-Marc Ekoh fut relaxé. Il lui fut confié quelques postes de moindre envergure en guise de punition suite à sa participation « indirecte » au renversement du président Léon Mba.

Mais quand ce dernier décède en 1967, Albert Bernard Bongo le succède. Le début de l’année de 1968 marque le début du retour en grâce de Jean-Marc Ekoh. Il est nommé secrétaire d’Etat à l’Habitat et à l’urbanisme. Puis, il sera de nouveau le patron du ministère des sports, encore chargé de la jeunesse mais aussi des affaires culturelles et du tourisme.

Devenu l’un des bras armés de la politique du très jeune et inexpérimenté nouveau président gabonais Bernard Bongo, Jean-Marc Ekoh va s’éloigner peu à peu de celui-ci pour des raisons de gabegies, d’actes répétés de népotisme et d’incompétences dans plusieurs pans de l’administration.

 Retraite politique et dernières prises de position

Lorsqu’il prit ses distances avec le nouveau régime incarné par le président Albert Bernard Bongo, Jean-Marc Ekoh se retira dans sa ville natale pour attendre et profiter pleinement de sa retraite. Il avait tout de même rallié le Collectif des anciens cadres, notables et dignitaires de la République (CACNDR) et avait, avec l’ensemble de ses pairs, appelé au calme et à l’apaisement après l’élection présidentielle de 2016.

En 2019, il avait également soutenu la déclaration de la vacance du pouvoir à la suite de l’Accident vasculaire cérébral (AVC) du président Ali Bongo Ondimba. En 2020, il avait vertement critiqué la modification du Code pénal gabonais rendant possible l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi qui impute la sanction punitive à la pratique de l’homosexualité : la fameuse loi sur la dépénalisation de l’homosexualité au Gabon. Jean-Marc Ekoh comme d’autres membres du CACNDR avait appelé au « respect des valeurs héritées de nos aïeux à l’esprit et à la lettre de la loi fondamentale  ».

 Disparition

Jean-Marc Ekoh Ngyéma quitte le monde des vivants le 3 janvier 2022 à la suite d’une affection médicale qui le rongeait depuis plusieurs années déjà. Il faut aussi dire que la vieillesse n’arrangeait guère son état sanitaire. Il s’éteint, entouré de ses proches dans sa ville natale de Bitam située dans le septentrion gabonais. Il était âgé de 93 ans.

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